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Note de lecture : Jean Zay, le ministre assassiné (1904-1944)

lundi 11 mai 2015 par Luc Bentz

Antoine PROST, Pascal ORY, Jean Zay — Le ministre assassiné (1904-1944), préface de Najat Vallaud-Belkacem, coédition Taillandier/Canopé, Paris 2015. 158 pages, 24,90 €.
Fiche sur le site des éditions Taillandier : http://is.gd/tOC1E2

Avec ce Jean Zay, le ministre assassiné (1904-1944), Antoine Prost et Pascal Ory donnent chair et vie au parcours et à l’œuvre politique et éducative de Jean Zay, en faisant éclater l’icône réductrice du ministre de Léon Blum condamné de manière inique par Vichy puis assassiné par la Milice. Ce livre — qui en dit long sur la volonté réformatrice de Jean Zay et les obstacles qu’il affronta (certains conservatismes sont toujours à l’œuvre) — est une œuvre indispensable, y compris par sa richesse iconographique, à qui veut mieux connaître celui qui fut un grand acteur d’une République émancipatrice.

Disons-le d’emblée, : la parution de cet ouvrage, qu’on doit aux plumes expertes d’Antoine Prost et Pascal Ory, doit contribuer à sortir Jean Zay du simple rôle de symbole dans lequel on l’enferme. Cet enfermement, c’est le piège du résumé en un triptyque trop sommaire : le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire iniquement emprisonné par le régime de Vichy puis assassiné par la Milice.

Certes, ce n’est pas la première publication qui est consacrée à Jean Zay. On peut rappeler le Jean Zay de Marcel Ruby (1994) aux éditions Corsaire ou, plus près de nous, l’excellent Jean Zay, l’inconnu de la République d’Olivier Loubes (2012) aux éditions Armand Colin. Mais Jean Zay, le ministre assassiné nous rappelle avec quelle fulgurance s’accomplit carrière politique de celui qui, député à 27 ans, fut ministre de l’Éducation nationale à 32 ans pour trois années qui marquèrent l’histoire de l’éducation avant que la haine vichyste ne le frappe d’une condamnation infamante — mais l’infamie était du côté de Vichy — puis d’un assassinat ignoble : il n’avait pas quarante ans.

Dans sa préface, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, écrit :

Tous ne le savent pas, Jean Zay fut aussi l’un des pères de la démocratisation de l’École. Celui qui, avant beaucoup d’autres, a compris que la France ne pouvait se satisfaire d’un système scolaire à deux vitesses, déterminé socialement, avec un lycée réservé à une élite, et a fait évoluer l’École vers un système unique, fondé sur les degrés. Celui qui aura fait passer la durée de la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans le 9 août 1936. Celui, également, qui aura su imposer sa méthode pour assurer une transformation rapide de la société : c’est par une poltiique minutieuse et volontariste de décrets, d’arrêtés et de circularies, que Jean zay a contribué à bâtir, pas à pas, un système scolaire plus égalitaire.

Non sans opposition d’ailleurs, le grand projet de loi qu’il avait déposé s’est trouvé bloqué à la Chambre des députés (l’Assemblée nationale d’aujourd’hui) avec notamment un opposant résolu en la personne d’Hippolyte Ducos, normalien et agrégé, de gauche mais jusqu’à un certain point seulement en matière éducative. On verra récidiver ce même Ducos au milieu des années cinquante contre le projet Billières [1]). On n’oubliera pas de rappeler sur ce point qu’Antoine Prost avait consacré un développement à cette période dans son ouvrage Du changement dans l’École — les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours et qu’il convient de ne pas minimiser, y compris à gauche, les obstacles qui se levèrent devant la volonté novatrice de Jean Zay.

C’est ainsi que nous avons relevé, au hasard de la lecture, ce propos du ministre (cité p. 70) :

« Le professeur n’est pas un conférencier ; il ne fait pas de cours ; il n’enseigne pas seulement des choses ; il cherche à développer chaque enfant dans le sens de sa nature ; il l’aide à réaliser pleinement ce qu’il peut être, ce qu’il doit être. »

L’ouvrage de Prost et Ory y fait référence : le foisonnement réformateur de Jean Zay ne se borna pas à l’École — avec un fort encouragement à l’éducation nouvelle et à la rénovation des méthodes d’enseignement (sans doute ne fut-il incriminé de pédagogisme puisque le mot n’avait pas encore été inventé). Il fut ministre de la Recherche en créant ce qui devait devenir le CNRS, ministre de l’Enseignement supérieur en étant à l’origine de l’actuel CNOUS (toujours le souci de démocratisation, comme en témoigne l’instauration de la gratuité des lycées — que Vichy abrogea), ministre de la Culture — et pas seulement parce qu’il fut à l’origine du du festival de Cannes, mais aussi réformateur de l’État avec son projet d’École nationale d’administration, bien engagé jusqu’à la déclaration de guerre de 1939, qui visait déjà à diversifier le recrutement des hauts fonctionnaires.

Rien n’est caché dans l’ouvrage, cependant, des difficultés que rencontra Jean Zay, à commencer par son projet de démocratisation qui semblait si consensuel en 1936, jusqu’à ce qu’il commençât à menacer quelques bastilles... Mais on se doit de rappeler aussi que la fusion — cohérence dans son projet — des écoles primaires supérieures dans l’enseignement secondaire se heurta à des réticences (le changement bouscule les habitudes ou les perspectives) et que la volonté d’exiger le baccalauréat pour les instituteurs interpellait le SNI — pourtant soutien du ministre jusqu’au bout — sur le devenir des écoles normales.

Au-delà des constructions intellectuelles antérieures, rompre avec les logiques d’ordres étanches (l’ordre primaire et primaire supérieur, avec son inspection générale et ses écoles normales supérieures spécifiques de Saint-Cloud et Fontenay-aux-Roses ; l’ordre secondaire, avec ses classes élémentaires des lycées) n’allait pas de soi. Il fallait une volonté politique forte ; cette volonté, Jean Zay l’avait à coup sûr, et il la manifesta encore lorsqu’il fut de manière inique condamné (comme Dreyfus) à la déportation perpétuelle pour « désertion », lui qui voulait prolonger le combat. On sait aussi comment la Milice vint le sortir de se geôle pour mieux l’assassiner en 1944

Ayant dit tout ce qui précède, nous nous en voudrions beaucoup si le lecteur de cet article se pensait exposé à un ouvrage « en tranches », avec la distance et l’abstraction que cela implique. Non pas que la précision de l’exposé ou la finesse d’analyse en soient absentes, tant s’en faut ! Mais le livre est un livre vivant, auquel la très grande part donnée à une iconographie abondante, variée et contextualisée donne littéralement chair. Les pages finales consacrées à « la mémoire de Jean Zay » nous semblent également utiles parce qu’elles répondent à ce qui fondait ce projet de livre, un beau livre, un livre nécessaire et qui, en ces temps troublés, dans l’éducation comme dans la société, est œuvre de salubrité publique en même temps que d’enrichissement intellectuel.

Surtout, en cette période de panthéonisation annoncée (le 27 mai 2015), cette publication permettra au lecteur, comme nous l’indiquions au tout début de cet article, de faire échapper Jean Zay à cette figure d’icône à laquelle on le réduit parfois. Avouons-le, cette sortie, comme ce fut le cas pour les classes promenades qu’il institua, nous fut un vrai bonheur de découverte.

Luc BENTZ

P.-S.

Voir aussi :

Maison de l’histoire de France (2012) : portrait de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front populaire assassiné par la Milice près de Riom en 1944. L’historien Antoine Prost, l’archiviste Caroline Piketty et les deux filles de Jean Zay évoquent sa vie, son action, son héritage.



Notes

[1« René Billères tente de rassurer dans ses réponses les défenseurs de l’enseignement classique qui, comme Hippolyte Ducos, craignent que sa réforme ne porte atteinte à l’humanisme traditionnel » (fiche biographique de René Billières sur le site de l’Assemblée nationale)

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