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Fin de mandat : la règle couperet des 55 ans au SNI

vendredi 22 août 2014 par Luc Bentz

Le Syndicat national des instituteurs (SNI puis SNI-PEGC) a pratiqué presque jusqu’à la fin une règle couperet non statutaire, mais fortement ancrée dans la tradition et la culture syndicales : celle du départ de toute responsabilité dès qu’on atteignait l’âge requis minimal pour partir en retraite, que la carrière soit complète ou non. Par extension, la règle s’est appliquée dans la FEN.

Cette règle, liée à la tradition syndicale plus qu’à la lettre des statuts mais fortement ancrée dans l’organisation, s’appliquait encore strictement à la fin des années quatre-vingt. Les instituteurs étant classés en catégorie « active » au sens du Code des pensions, ils pouvaient prétendre à partir en retraite à 55 ans révolus. À cet âge précis d’ailleurs, même un ancien normalien dont les services couraient à partir de dix-huit ans ne comptait que trente-sept annuités et non le plafond théorique des trente-sept annuités et demies. Mais la règle d’abandon des responsabilités syndicales s’imposait, même si l’intéressait poursuivait sa carrière quelques mois le temps d’atteindre ce qu’on appellerait aujourd’hui « le taux plein ».

L’origine de ce principe, comme le fait que la direction ne fût composée que d’actifs, remonte historiquement à la difficile transition entre Émile Glay et la génération montante du SNI au début des années trente. C’est la raison pour laquelle les statuts du Syndicat, depuis cette période, précisent que ne peuvent être membres du Bureau national que des militants en situation d’activité, les retraités ayant un représentant spécifique avec voix consultative. La même règle s’appliquait dans les sections départementales pour ce qui est des exécutifs. Mais cela n’aurait pas suffi à expliquer le couperet en raison des règles statutaires effectivement mises en œuvre.

Il faut ici évoquer l’organisation de la profession, jusqu’à la création des « titulaires remplaçants » en 1978 était différente de celle qu’on connaît : les remplacements étaient prévus par des « crédits » permettant de payer au remplacement fait les instituteurs remplaçants et suppléants (les premiers, bénéficiaient de deux avantages : le « quart fixe » de la rémunération mensuelle garanti et une rémunération supérieure s’ils étaient titulaires du certificat d’aptitude pédagogique). Les suppléants pouvaient intégrer, au fur et à mesure, la liste départementale des remplaçants qui étaient contingentée. Les instituteurs remplaçants munis du CAP inscrits sur la liste départementale pouvaient être stagiarisés puis titularisés après un an en fonction du nombre de postes budgétaires vacants. Or, la poussée scolaire des années cinquante et soixante avait très fortement tendu cette possibilité. Il n’était pas rare, dans certains départements, que des instituteurs remplaçants dotés du CAP attendissent plusieurs années (dans des cas extrêmes jusqu’à huit ou dix) avant d’être délégués comme instituteurs stagiaires.

Le SNI avait longtemps fait pression pour que les collègues qui en remplissaient les conditions partent en retraite pour libérer les postes budgétaires permettant de stagiariser les instituteurs remplaçants qui devaient longtemps les attendre. Il y avait encore au début des années quatre-vingt des articles de bulletins de section expliquant qu’en prolongeant, on travaillait en fait pour moins de 20 F net par jour. Cette pression allait jusqu’à « ostraciser » ceux qui prolongeaient au détriment des jeunes à une époque où le poids du syndicat était considérable avec un taux de syndicalisation de 80%.

L’éthique syndicale conduisait à appliquer les mêmes principes en interne, avec un abandon des responsabilités syndicales à l’âge couperet. Compte tenu du poids que représentait le SNI dans la FEN, en particulier au niveau des départements, cette pratique s’y étendit. La très grande majorité des responsables départementaux de la FEN était issue du SNI et en portaient les valeurs et les principes. Jeune conseiller syndical (cinq ans après ma sortie de l’école normale), cette règle d’autant plus forte qu’elle était non écrite me fut expliquée et explicitée par des « anciens » en deux ou trois occasions dans le cadre de ces conversations informelles qui sont formatrices dans l’acquisition d’une culture militante.

Au plan national (au SNI-PEGC), une première exception, dont l’auteur de cet article eut à connaître comme membre du Secrétariat national du SNI-PEGC, avait été faite pour André Belleville, représentant de la minorité Unité & Action au Bureau national du SNI-PEGC, à sa demande de prolonger pour quelques mois après ses cinquante-cinq ans ses mandats nationaux (il siégeait notamment dans les instances nationales FEN) pour aller jusqu’au congrès fédéral de Clermont-Ferrand.
Le Secrétariat national l’avait acceptée sans longue discussion et sans opposition sur la proposition de Jean-Claude Barbarant que l’intéressé avait contacté : la tradition, si forte soit-elle, n’avait pas de caractère statutaire et, la majorité, même dans une période où les tensions s’exacerbaient, ne souhaitait pas s’abriter derrière la « tradition », si légitime fût-elle dans l’organisation (c’est pourquoi d’ailleurs Belleville avait fait sa démarche en indiquant qu’il était, pour sa part, tout à fait prêt à s’y plier). Le Secrétariat national du SNI-PEGC s’honora d’ailleurs de conserver une totale discrétion sur cette demande et la réponse positive apportée sans expression publique, même dans les instances, ce qui explique que cette règle de limite d’âge au minimum requis pour obtenir une pension, à taux plein ou non, continua à être appliquée strictement dans certaines sections du SNI-PEGC et, par extension de la FEN.

Il est possible que, dix ans plus tôt, cette démarche n’ait pas été présentée ni acceptée (en 1969, bien qu’il ne soit pas à proprement parler « élu », Charles Martial, parce qu’il avait pris sa retraite, avait été remplacé par Robert Chéramy comme représentant de la FEN au Conseil économique et social, et le compte rendu de la CA nationale fait état de cette annonce par le secrétaire général de l’époque, James Marangé). Mais, on n’en était plus à l’époque des parcours linéaires de l’école normale (en 3e) à la retraite.

Les collègues désormais en fin de carrière commençaient à connaître des parcours professionnels parfois moins linéaires qu’antérieurement, parfois plus complexes que par le passé ; le statut des PEGC avait contraint ceux qui n’avaient pas les quinze ans de service actif à prolonger leur activité jusqu’à 60 ans au moins bien qu’ils aient le nombre d’annuités requis. Les modifications dans le corps et la lenteur initiale de l’accès au corps des professeurs des écoles ou à la hors classe des certifiés et assimilés ont joué. Le coup de grâce est venu de la réforme des retraites de 2003 compte tenu des modifications fondamentales du Code des pensions avec notamment l’instauration de la décote. Surtout, la notion de « poste budgétaire vacant » a disparu de puis le vote de la LOLF [1] et la situation des contractuels, en particulier dans les écoles, ne se pose absolument plus, à tous points de vue, comme dans les années cinquante et soixante. Dix ans plus tôt, ai-je dit, André Belleville (ou un autre : peu importe le courant quand bien même il aurait été plus difficile pour la majorité de faire exception pour l’un des siens) n’aurait pas songé à effectuer sa démarche auprès de Jean-Claude Barbarant ; dix ans plus tard (tous autres éléments étant constants), faire avaliser son choix personnel ne l’aurait même pas effleuré.

Il est intéressant d’ailleurs de constater qu’une tradition syndicale peut s’éteindre après que les raisons originelles ont disparu qu’il s’agisse du poids des historiques retraités dans l’organisation( comme Glay et Roussel qui n’étaient rien de moins que les fondateurs du syndicat) ou de la situation des non-titulaires du premier degré depuis 1978 — même s’il y avait un « stock », comme on dit dans le barbare jargon administratif, jusqu’à la fin des années quatre-vingt.

Nolens volens, les militants « aux affaires » sont façonnés intellectuellement par l’organisation dans laquelle ils avaient progressivement pris leurs marques culturelles dans les cursus syndicaux relativement lents de l’époque, mais cette règle, au-delà de ce qu’elles signifient comme mode de gestion interne, est aussi la trace intégrée dans le fonctionnement de ce que fut un combat solidaire pour les dizaines de milliers de non-titulaires d’une époque qui appartient aujourd’hui à l’histoire. Les évolutions culturelles, au sens sociologique du terme, peut nécessiter plus de temps tant elles sont liées aux identités militantes.


Notes

[1LOLF : Loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001.

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