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Tribulations autour du 10 rue de Solférino, siège fédéral des fonctionnaires (1934-1978)

lundi 30 octobre 2017 par Guy Putfin, Luc Bentz

En 1944, les syndicalistes résistants de la Fonction publique issue de la CGT d’avant-guerre (CGT, FEN, FO après la scission) reprenaient leur siège de la rue de Solférino, confisqué par Vichy en 1940, les armes à la mains. Quelques semaines plus tôt, la Résistance y avait déjà exécuté le collaborateur Philippe Henriot. Vingt ans après, en 1964, une plaque commémorative fut posée... qui a elle-même son histoire ou plutôt son historiette si l’on considère la gravité des évènements auxquels elle se rapporte. Mais l’histoire du siège des fédérations de fonctionnaires ne s’arrête pas là...

L’immeuble de la rue de Solférino, qui est actuellement le siège du Parti socialiste, avait été acheté en 1934 par Charles Laurent [1], secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires de 1909 à 1946 (en 1920, il l’avait fait adhérer à la CGT réformiste de Léon Jouhaux).

Il est important de se rappeler qu’il s’agissait de la CGT de Léon Jouhaux, que les communistes et anarcho-syndicalistes avaient quittée en 1921 pour constituer la CGTU (avec naturellement un U comme « unitaires »), avant une réunification en 1935 dans laquelle les réformistes étaient majoritaires.

Cette Maison des fonctionnaires avait été saisie en 1940 par le gouvernement de Vichy en même temps qu’étaient dissous les syndicats de fonctionnaires. Elle était devenue le siège du « Commissariat général à l’Information » que dirigeait le très collaborationniste Philippe Henriot, exécuté par un commando de la Résistance le 28 juin 1944 [2].

Comme on le sait, la CGT s’est réunifiée en 1943 par les accords du Perreux, les communistes y étant minoritaires dans les instances. Le 18 août 1944, pendant l’insurrection parisienne, les résistants issus du syndicalisme clandestin de la Fonction publique reprirent « leur » siège les armes à la main. Comme le précise Guy Brucy dans l’Histoire de la FEN (éd. Belin, p. 68-69) :

Le 15 août [1944], Lavergne [3] lance avec Neumeyer [4] le mot d’ordre de grève insurrectionnelle des fonctionnaires. Ceux-ci reprennent par les armes leur immeuble du 10, rue de Solférino. Dans le quartier des ministères, le mouvement est animé par Girard [5]. Au matin du 19 août, le ministère de l’[Éducation nationale] est occupé par une dizaine de militants qui accueillent dans la matinée le nouveau secrétaire général à l’EN faisant fonction de ministre : Henri Wallon [6].

Après la scission de 1948, y coexistèrent donc les fédérations de la Fonction publique (et leurs syndicats) issus de la CGT d’avant-guerre : l’UGFF CGT, la FGF-FO et, bien entendu, la FEN qui, comme son principal syndical, le SNI, y avait son siège dont l’entrée donnait sur la rue adjacente (le « 94 rue de l’Université, Paris VIIe » qui figurait sur l’ours de l’Enseignement public ou de l’École libératrice.

En 1964, la plaque commémorative fut posée : vingt ans après la libération de Paris, trente après celle de l’acquisition des locaux. Ni l’Enseignement public (bulletin mensuel de la FEN) ni l’École libératrice (hebdomadaire du SNI) n’en rendent compte, mais le souvenir militant de cette récupération insurrectionnelle a été conservé par la mémoire collective, en tout cas au SNI et à la FEN.

Les locaux de la rue de Solférino furent occupés syndicalement jusqu’en 1978 où, finalement vendus à la Mutuelle retraite des instituteurs, la FEN s’installa, pour ce qui la concernait, rue La Bruyère tandis que le SNI-PEGC faisait l’acquisition des locaux du 209 boulevard St-Germain (actuel siège du SE-UNSA). Les locaux n’avaient pas été achetés initialement par les fonctionnaires CGT avant guerre, le syndicalisme dans la Fonction publique étant alors reconnu en fait mais non en droit. Il avait donc fallu créer une société immobilière dont les sept membres étaient les membres du bureau de la Fédération des fonctionnaires (on y retrouve ainsi Charles Laurent, mais aussi André Delmas, alors secrétaire général du Syndicat national des instituteurs, Neumeyer et Robert Lacoste) et dont les fonds furent recueillis par souscription.

La situation rocambolesque des biens de la FGF d’avant-guerre est narrée (y compris avec l’affaire du « lingot d’or ») par André Henry dans Conquérir l’avenir — la FEN de 1974 à 1981, éd. CLEM, pages 100 à 103 [7]. L’écheveau juridique était si complexe que le dossier occupa l’avocat Jean Cornec de 1966 à 1974 ! Voir, plus bas, les éléments complémentaires recueillis par Guy Putfin.

Quant à la plaque commémorative, elle a failli disparaître lors de travaux de rénovation des locaux de la rue de Solférino, bien après leur cession. Un salarié du Syndicat national des instituteurs, passant par là, la trouva sur un tas de gravats promis au rebut à une date aujourd’hui imprécise. Il prit sur lui de la préserver en la ramenant au siège du SNI (heureusement non loin). Elle a été conservée jusqu’en décembre 2011 dans la cavede celui-ci cave (devenue donc la cave du SE-UNSA), où elle a été récupérée par le signataire de ces lignes qui était des rares à connaître l’histoire et peut-être le seul (en tout cas le seul fonctionnaire « actif ») à savoir ce qu’elle était devenue.

Depuis décembre 2011, elle est conservée dans le bureau du secrétaire général de l’UNSA Éducation à Ivry-sur-Seine.

Luc BENTZ


Éléments complémentaires sur le 10 rue de Solférino

Acte de vente de MM de Chalendray et de Jumilhac à Monsieur de Stael, le 9 mars 1821, en l’étude de maître Moisant.

Entre les deux guerres, les syndicats de fonctionnaires n’avaient pas d’existence légale, mais étaient simplement tolérés. Ils n’avaient pas de capacité juridique pour acheter un bien immobilier. Une société formée de sept syndicalistes fut constituée pour l’achat de l’immeuble qui devait être le siège de la Fédération des fonctionnaires. Une collecte syndicale permit de couvrir les frais d’achat. Les sept membres fondateurs de la société anonymes étaient les membres du bureau de la Fédération des Fonctionnaires : Charles Laurent, secrétaire général ; Pierre Neumeyer, André Delmas et Robert Lacoste, secrétaires adjoints ; Roger Nantillé, trésorier ; Charles Grenapin-Pitre, trésorier adjoint ; Marcel Giron, instituteur, secrétaire du cartel des services publics. Ils détenaient chacun 14 actions, à l’exception de Roger Nantillé qui en avait 16.

La société anonyme La maison des Fonctionnaires fut créée par acte du 12 décembre 1933, en l’étude de maître Baratte, notaire à Paris (250 Boulevard Saint-Germain). C’était une société de 99 ans, à compter du 20 décembre 1933. Elle avait son siège au 5 rue de Poitiers, à la Fédération des Fonctionnaires. Son objet est « l’acquisition d’un immeuble situé à Paris 8 bis et 10 rue de Solférino et 94 rue de l’Université… » Charles Laurent, est administrateur de la société.

L’achat de l’immeuble à la princesse d’Orléans-Bourbon par la société anonyme La Maison des fonctionnaires a lieu le 21 décembre 1933, en l’étude de maître Baratte, notaire à Paris, pour un montant de 3 175 000 francs de l’époque [8]. C’est Charles Laurent, chef de bureau hors cadre à la Caisse des dépôts et consignations, qui représente la société anonyme et signe l’acte d’achat.

L’acte se trouve dans les archives de la FEN.

Le gouvernement de Vichy qui a confisqué les biens des syndicats (dissous en novembre 1940), a installé le ministère de l’Information dans ce qui était auparavant le siège de la Fédération des Fonctionnaires au 10 rue de Solférino. Dans la nuit du 27 au 28 juin 1944, un groupe de résistants y exécute Philippe Henriot, secrétaire d’État de l’Information et de la Propagande depuis janvier 1944, et propagandiste pro allemand à Radio Paris.

A la Libération, Lavergne lance avec Neumeyer le mot d’ordre de grève insurrectionnelle des fonctionnaires le 15 août 1944, et participe, le 18 août, à la reprise de l’immeuble de la rue de Solférino où avait été installé le siège du Ministère de l’information de Vichy.

Une plaque commémorative fut apposée à l’entrée de la Maison des Fonctionnaires pour le 20° anniversaire, en 1964, sous la présidence de Charles Laurent, avec l’inscription suivante :

« Syndicat des Fonctionnaires, 10, rue de Solférino, Paris 7° - 1944 -1964 . Le 18 août 1944, participant à l’action parisienne, les syndicats de fonctionnaires ont repris leur maison aux traîtres de Vichy. » [9]

À cette époque, tous pensaient que la maison appartenait pour 3 tiers aux trois organisations héritières de la fédération des services publics d’avant guerre : UGFF-CGT, FGF-FO, FEN. En réalité la maison appartenait légalement en propre aux membres qui détenaient les parts de la société, ou à leurs héritiers.

Le 23 juillet 1965, un protocole fut signé entre les 3 organisations qui se considèrent comme propriétaires indivis et à égalité de la société La Maison des Fonctionnaires.
Mais se posait un problème de régularisation.

Il fallut chercher les héritiers et les convaincre de se désister au profit des trois fédérations. Entre 1966 et 1974, sous la responsabilité de maître Cornec, le comité de gestion de l’immeuble (UGFF-CGT, FGF-FO, FEN) récupéra 72% des parts de la société anonyme. Les héritiers Giron refusèrent de signer la cession des parts, mais ils n’engagèrent pas non plus une action en justice qui se serait sans doute révélée des plus aléatoires.

Le 21 mars 1972, les associés de la société anonyme La Maison des Fonctionnaires, James Marangé pour la FEN, Pierre Tribié pour la FGF-FO, René Bidouze pour l’UGFF-CGT créent une association entre les trois fédérations qui devient propriétaire de l’immeuble. Mais l’ancienne société anonyme, sans conseil d’administration, ne satisfaisait pas aux dispositions de la loi du 24 juillet 1966, et se trouvait dissoute de plein droit, l’État étant censé récupérer ses biens. Cependant, la Direction générale des impôts se rangea à la demande des organisations et admit par lettre du 12 avril 1974, « à titre exceptionnel » que la société anonyme La Maison des Fonctionnaires puisse se transformer avant la fin de l’année en association déclarée [10].

Une nouvelle association fut créée le 5 septembre 1974, et une convention fut signée le 18 décembre 1974 entre les organisations UGFF-CGT, FGF-FO et FEN.

Pour mieux disposer de locaux, un projet de démolition et reconstruction fut étudié, mais se heurta aux contraintes du classement de l’immeuble : conservation en l’état des cours et des façades. L’entretien devenant très lourd, la vente fut envisagée dès 1976, d’autant plus que l’UGFF-CGT allait pouvoir trouver place dans le nouvel immeuble de la CGT à la porte de Montreuil.

Un rapport d’expert (André Lévi) sur la valeur vénale de l’immeuble des 8 bis, 10 et 12 rue de Solférino, et 94 rue de l’Université, précise : « Les promoteurs ne pourront s’y intéresser puisqu’il ne peut être question de démolir pour reconstruire. »” Il pense que seul un organisme ou une ambassade pourrait être intéressé mais qu’il y aura de très gros travaux à entreprendre. [valeur estimée 12 millions de francs [11] : si enchères mise à prix 800.000 F (?)] [renseignement non communiqué]

La vente fut effectuée le 14 mars 1978 à l’UNMRI-FEN (union nationale des mutuelles de retraite des instituteurs et fonctionnaires de l’éducation nationale), avec entrée en jouissance au 31 juillet 1978.

La FEN, de son côté, acheta l’immeuble du 48 rue la Bruyère dans le 9e arrondissement le 27 février 1978 et s’y installa en juin 1978.

Guy PUTFIN

Sources :

- Archives de la FEN : CAMT Fonds 1998 011. 2 EE 10
- André Henry, Conquérir l’avenir. La FEN de 1974 à 1981, p. 100 - 103.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier.

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Tribulation du 10 rue de Solférino, siège fédéral des fonctionnaires (version PDF de l’article en ligne)

P.-S.

25/10/2017. — Guy Putfin vient de publier un article sur le site de l’Ours http://www.lours.org/le-10-rue-de-s... qui commence ainsi : La mise en vente du 10 rue de Solférino qui est, depuis 1980, le siège du Parti socialiste, met sur le devant de l’actualité cet immeuble parisien. Mais sait-on que pendant 45 ans, le 10, rue de Solférino fut le siège de la « Maison des Fonctionnaires » ?

Signalons également ce document rédigé en 2011 par Guy GEORGES, ancien secrétaire général du SNI-PEGC/FEN (1976-1983). Outre la rue de Solférino (et l’angle de la rue de l’Université qu’occupait le SNI), il évoque également les différents locaux occupés par le Syndicat national des instituteurs dont la continuation est l’actuel Syndicat des enseignants (SE-UNSA).



Notes

[1Voir aussi sa fiche biographique sur le Musée de la Résistance en ligne

[2En 1974, tout nouveau secrétaire national de la FEN, Guy Le Néouannic avait son bureau donnant dans l’escalier où Henriot avait été abattu.

[3Il était secrétaire général de la Fédération générale de l’Enseignement clandestine et restera secrétaire général de la Fédération, devenue FEN en 1946, jusqu’en 1956.

[4Responsable clandestin de la fédération des Fonctionnaires, membre du bureau confédéral et futur responsable des fonctionnaires FO après la scission.

[5René Girard, militant communiste du Syndicat national de l’Enseignement technique clandestin et responsable FTP.

[6Parmi ces militants, Brucy cite en note Girard, Geneviève et Jean Roulon qui étaient des militants communistes de premier plan du SNI de la Seine et Paul Delanoue, responsable national de la Tendance. Henri Wallon est le psychologue, passé à la postérité en raison de l’historique « plan Langevin-Wallon » élaborée après la Libération.

[7Charles Laurent avait confié les fonds de la Fédérations des fonctionnaires à un syndicat britannique qui avait acheté un lingot d’or avec cet apport. Après la Libération, Charles Laurent qui, juridiquement, avait fait le dépôt à titre personnel, s’était opposé à la restitution pour éviter que la CGT d’après la scission n’en récupérât la plus grande port. L’argent a fini par être converti par le syndicat dépositaire pour financer des bourses d’études.

[8Ce qui donne, compte tenu de la période de signature 2,1 ou 2,2 millions d’euros selon le calculateur en ligne de l’INSEE.

[9Cette plaque se trouve aujourd’hui, comme on l’a vu, au siège de l’UNSA Éducation, appellation de la FEN depuis 2000 qui, elle-même, avait remplacé celle de FGE (Fédération générale de l’Enseignement) en 1946.

[10Il eût été politiquement surprenant que, trente ans après la Libération, la spoliation de Vichy produise des effets collatéraux analogues !

[11Soient, toujours selon de convertisseur de l’INSEE, entre 6 et 8 millions d’euros 2013 selon l’année d’estimation. On voit l’écart entre l’évolution générale des prix et les prix de l’immobilier à Paris...

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